Suppression de la limitation des mandats: Le Sénégal sur les pas de la Cote D’ivoire et de la Guinée?

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Opposant, l’actuel Président de la coalition au pouvoir par ailleurs Président de la République du Sénégal, s’était mobilisé contre la 3eme candidature de l’ancien Président, et a meme lancé un appel aux populations afin qu'elles manifestent publiquement pour exprimer de vive voix leur détermination pour le retrait du projet de révision de la constitution.

Il s’est montré déterminé à empêcher l’aboutissement d’un tel projet et en compagnie de membres du Mouvement du 23 Juin il avait participé à un travail de plaidoyer auprès de chefs religieux pour attirer leur attention sur les risques d’instabilité du Sénégal.

Élu, Président du Sénégal en mars 2012, il a continué à affirmer que la constitution du Sénégal limitait le nombre de mandats à deux et qu’il était favorable à leur limitation. Lorsqu’il a eu comme objectif l’obtention d’un 2ème mandat à l’élection présidentielle de 2019, il a continué à affirmer qu’il était dans une logique de faire que deux mandats présidentiels et de ne pas les dépasser.

Cependant, depuis sa réélection en février 2019 pour un deuxième mandat présidentiel, son discours sur la 3eme candidature est devenu moins catégorique et plus opaque.

Non seulement, il est devenu flou mais tous ses partisans qui s’aventurent à dire qu’il n’a pas droit à une 3eme candidature sont limogés des fonctions auxquels il les avait nommés alors que ceux qui parle de sa possible 3ème candidature en 2024 ne sont pas inquiétés. Ainsi, l’actuel Président du Sénégal est soupçonné de vouloir se présenter à l’élection présidentielle de 2024 pour un 3eme mandat.

Ce brusque revirement, d’une position claire et nette, avant sa réélection en 2019, à une autre ambiguë après l’obtention de son 2ème mandat présidentiel, prouve d’une part, que la parole du Président de la coalition au pouvoir n’est guidée que par les objectifs politiques à court terme, et d’autre part, il conforte la thèse selon laquelle, il existerait un projet caché, non encore dévoilé, de captation du pouvoir politique au Sénégal par l’actuel Président.

Pour obtenir l’aboutissement d’un tel projet deux options se présentent, l’une est passée sous silence et l’autre largement mis au devant de l’actualité et toujours à l’initiative des membres de la coalition au pouvoir.

Ainsi, forts de leur stratégie électorale gagnante qui a fait ses preuves à l’élection présidentielle de février 2019, des membres de la coalition au pouvoir n’hésitent pas à faire publiquement des propositions sur la suppression de la limitation des mandats, quelques mois seulement après cette élection, exactement , en décembre 2019­, mais c’est surtout en février 2020, qu'un tel projet est soutenu publiquement par un membre de la coalition au pouvoir, actuel Ministre d’État Secrétaire général de la Présidence, qualifié par les observateurs de fidèle compagnon et d’une loyauté sans égal à l’endroit du Chef de l’État.

Malgré les différents démentis, par le porte parole de la majorité présidentielle, mais aussi, par un autre membre de cette même majorité et enfin par les cadres du parti au pouvoir, un palier supérieur a été franchi par un député, Président du groupe parlementaire de la coalition au pouvoir, qui théorise la suppression de la limitation des mandats et de celle liée à l’âge. Ce projet de captation du pouvoir politique est arrivé ainsi à son paroxysme avec la théorisation de la présidence à vie par une rééligibilité perpétuelle du président de la République du Sénégal.

Cette fois-ci, il n’a pas été constaté ni une condamnation des propos de ce député, ni un démenti des cadres du parti au pouvoir, ni d’un membre influent de la majorité présidentielle.

Un regard sur le passé permet de constater que parmi les théoriciens de la captation du pouvoir politique, deux fidèles compagnons du président de la coalition au pouvoir, plus précisément le Ministre d’État Secrétaire général de la Présidence et le député, Président du groupe parlementaire de la coalition au pouvoir, sont des courroies de transmission à l’opinion publique nationale, des résultats de ce qui se trame dans le laboratoire de stratégie politique du locataire du Palais Présidentiel du Sénégal.

En effet, l’un avait déclaré qu’il n’y aurait pas, pas plus de 5 cinq candidats à l’élection présidentielle en 2019 et l’autre que leur candidat la gagnerait à 57­% au minimum, à 8 mois de l’élection présidentielle . A l’arrivée leurs prévisions politiques se sont matérialisées. Aussi, il est à considérer qu’ils sont dans le secret du laboratoire et qu’un projet de suppression de la limitation de l’âge et des mandats est en cours d’élaboration.

Il est à noter aussi, que toutes les déclarations sur un tel projet ont un dénominateur commun­: l’arbitrage du peuple, c’est au peuple de décider. Cette éventualité a été clairement exprimé par un député de la coalition au pouvoir en ces termes­: « Ce que je sais, c’est qu’à bonne date, la constitution va se prononcer sur la légitimité ou l’illégitimité du président Sall». De tels propos, amènent à la conclusion qu’un référendum constitutionnel serait l’instrument juridique et politique pour faire aboutir un tel projet.

Cependant, la durée et le nombre de mandats consécutifs du Président de la République ne peuvent faire l’objet de révision (article 103 de la Constitution du Sénégal). Une clause d’éternité qui rend définitivement immuable et intangible les dispositions constitutionnelles relatives au nombre et à la durée des mandats présidentiels.

Par conséquent, la seule solution, pour faire sauter ce verrou posé par le législateur, qui vise à prévenir qu'un président ne conserve le pouvoir pendant trop longtemps, est de faire table rase sur la constitution actuelle et d’élaborer une nouvelle constitution sur le fondement de l’article 51, alinéa 1 de la constitution qui dispose­: «­Le Président de la République peut, après avoir recueilli l’avis du Président de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, soumettre tout projet de loi constitutionnelle au référendum.­»

Aussi, au moment ou se rapproche les élections territoriales et législatives de 2022, la tentation serait alors grande de demander aux sénégalais de se prononcer sur un référendum constitutionnel ayant pour objectif principal de modifier, les articles 27 et 28 de la Constitution du Sénégal. L’aboutissement d’un tel projet permettrait au Président actuel de pouvoir briguer des mandats infinis, pour une éventuelle présidence à vie.

Cependant, le préalable à un référendum constitutionnel serait une écrasante victoire aux élections locales de janvier 2022, ce qui semble être déjà acquise pour la coalition au pouvoir.

En effet, avec un code électoral sur mesure comportant des dispositions qui remettent en cause le secret du vote, qui pourraient favoriser la fraude par des votes multiples, l’exclusion d’électeurs du vote par la modification de la carte électorale, un contrôle total sur un fichier électoral non sincère (Voir articles L37, L38, L49, L53, L57, L69, L80, L243, L278, L296 du code électoral de juillet 2021), une probable carte électorale sur mesure, une Commission électorale Nationale Autonome (CENA) réduite au silence sur les éventuels dysfonctionnements et manquements du processus électoral (article R.4 et R.15 du décret n°2021-1196 portant partie reglementaire du Code Electoral), une opposition incapable de se mobiliser pour la création des conditions d’une élection transparente et démocratique, la voie est libre pour dérouler la stratégie gagnante de l’élection présidentielle de 2019.

Le Sénégal s’orienterait ainsi vers la même perspective et selon le même mode d’adoption que la Cote D’Ivoire et la Guinée­: Un référendum constitutionnel pour une nouvelle constitution.

A cet effet, pour faire taire toutes les critiques sur le coût excessif de l’organisation de deux scrutins séparés, le référendum constitutionnel devrait être couplé aux élections législatives de 2022.

En outre, il sera mis en œuvre suivant le même modus operandi que la révision constitutionnelle de 2016 par référendum et celle de 2019 par voie parlementaire­: Prendre les sénégalais par surprise et les mettre devant le fait accompli en l’annonçant au dernier moment, une organisation du scrutin en un laps de temps de très court (1 mois en 2016), pas de concertations ni débats avec les acteurs politiques et la société civile, pas de campagne d’information des populations sur les motifs et objectifs visés afin qu’ils comprennent les enjeux liés aux réformes proposées, d’ailleurs, en 2016 les électeurs n’ont eu droit qu’à une semaine de campagne électorale, entre le 12 et le 18 mars et enfin, organisation d’un scrutin avec des dysfonctionnements et manquements.

En conséquence, le plus faible taux de participation à un référendum dans l’histoire politique du Sénégal (38%), si bien que, 3 506 520 électeurs n’ont pas participé au vote. Ainsi, une minorité a décidé du destin de toute une nation, soit 1 367 592 votes pour le OUI ce qui correspond à 23,9% de l’électorat. (Voir rapport CENA sur le référendum de 2016).

L’organisation d’un référendum constitutionnel, pour faire sauter principalement les article 27 et 28, mais aussi la clause d'éternité et d'intangibilité de l’article 103 par une minorité d’électeurs sénégalais, adopterait certainement la même stratégie.

Cette hypothèse est à considérer tant cette coalition au pouvoir a habitué les sénégalais à imposer ses projets de loi, sans consensus avec les acteurs politiques, tout au plus un dialogue de faire valoir.

A titre d’exemple, on peut citer, la Loi n° 2018-22 du 04 juillet 2018 portant révision du Code électoral qui introduit le parrainage, votée en avril 2018 en mobilisant les force de sécurité pour contenir les manifestions de la population sous le prétexte d’assurer la sécurité et des bagarres à l’Assemblée nationale, mais aussi le vote du nouveau code électoral en juillet 2021 pendant lequel tous les amendements de l’opposition ont été rejetés.

En outre, depuis 2012, le constat est qu'il y a un pouvoir exécutif sans contre-pouvoirs. Ainsi, l'activisme juridique de l’exécutif est d’autant plus inquiétant pour les libertés civiles et politiques qu’il ne connaît aucun obstacle.

En effet, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, théoriquement indépendants les uns des autres, ne sont en fait ni séparés ni équilibrés. On note une « prédominance du Président de la République » sur les Pouvoirs législatif et Judiciaire. (Voir le rapport de la Commission Nationale de Réforme des Institutions, page 13)

L'Assemblée Nationale du Sénégal est aux ordres, il vote aveuglément les textes que lui présente l’exécutif. En outre, elle ne fait jamais de propositions de loi, encore moins mettre en œuvre les pouvoirs de contrôle et d'évaluation des politiques publiques conférés par la constitution. ­

On constate aussi un pouvoir judiciaire qui est fréquemment accusé de partialité et certaines de ses décisions ont pu sembler avoir été influencées par l’Exécutif. Aussi, il fait l’objet de vives critiques émanant de divers segments de la société sénégalaise­: partis politiques, société civile et universitaires.

A ce titre, le Conseil Constitutionnel est particulièrement indexé. La loi constitutionnelle étant soustraite de tout contrôle juridictionnel, le Conseil constitutionnel a multiplié des décisions souvent dénoncées.

A titre d’exemple, le 26 février 2016, pour la première fois dans l’histoire politique du Sénégal, 45 Professeurs de Droit ont signé une tribune pour dénoncer le subterfuge juridique qui a permis de requalifier un avis du Conseil Constitutionnel en décision, pour écarter la réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans.

En février 2021, cinq ans après le manifeste de ces 45 professeurs, ce sont cette fois-ci 102 universitaires Sénégalais qui signent et publient un autre manifeste sur la crise de l’état de droit et de la démocratie au Sénégal.

Ces universitaires ont ainsi voulu montrer qu’aujourd’hui au Sénégal, la règle de droit n’est pas une norme robuste mais un instrument entre les mains du Président de la République, qu’il utilise au gré de ses objectifs politiques.

Enfin, il y a une opposition politique divisée mais surtout sans courage politique, qui préfère les débats au niveau des plateaux de télévision et les réseaux sociaux que d’occuper le terrain.

Ainsi, le Sénégal serait sur les pas de pays voisins ou un tel projet de manipulation des dispositions constitutionnelles pour les intérêts politiques opportunistes du régime en place, a abouti au prix d’un forcing qui a amené l’opposition à boycotter et à appeler à des manifestations : Cote D’ivoire en 2016 avec un faible taux de participation (42,42%), en Guinée il a été de 58,23% en 2020.

La constitution Sénégalaise serait alors de nouveau objet de modifications intempestives et de manipulations diverses, au gré d’intérêts politiques peu louables, qu’elle a perdu de son caractère sacré (Voir le rapport de la Commission Nationale de Réforme des Institutions, page 17).

Il est à rappeler, qu’en 2011 il y a eu une mobilisation sans précédent du Peuple Sénégalais contre le projet de modification de la constitution par l’ancien président. L’actuel Président du Sénégal, alors opposant et candidat à l’élection présidentielle de 2012, a activement participé à cette mobilisation.

Aussi, il serait extrêmement risqué pour la paix et la stabilité du Sénégal, si ce projet caché de référendum constitutionnel qui ressort des propos de membres influents de la coalition au pouvoir venait a être officiellement annoncé et mis en œuvre.

Enfin, il est à remarquer que le scenario à la Poutine est possible avec l’actuelle constitution. Non seulement, il permet de conserver le pouvoir, mais en plus, il donne la gloire pour avoir respecté la constitution en particulier la limitation des mandats.

Il semblait qu’un tel scenario était en préparation en Cote D’ivoire, mais la mort prématurée du «­Medvedev Ivoirien­», en l’occurrence Mr Amadou Gon Coulibaly, a fait échouer le plan, si bien que, l’actuel Président Ivoirien a été obligé de se dédire en se présentant à l’élection présidentielle de 2020.

Cependant, il s’agit aussi d’une option risquée au regard de ce qui s’est passé en Mauritanie car on ne sait jamais si le «­Medvedev choisi­» ne va pas se métamorphoser.

En considérant tout ce qui précède, il semble qu’une troisième option serait en élaboration par le laboratoire de stratégie politique du locataire du Palais Présidentiel du Sénégal. (Nous y reviendrons)

Fait à Dakar, le 24/ 10/ 2021
Le Président Ndiaga Gueye

Doctorant en Sciences de l'Information et de la Communication
Chercheur en communication politique à l'ère numérique
Laboratoire: LARSIC, École Doctorale: ED-ETHOS
Université Cheikh Anta Diop de Dakar Sénégal

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