Déclaration de la société civile sur l'article 27 du projet de loi portant code des communications électroniques
Honorables députés, Amendez l’article 27 pour la transparence de l’élection présidentielle de février 2019
Le Gouvernement du Sénégal, en conseil des ministres du 06 juin 2018, a adopté le Projet de loi portant Code des communications électroniques dont l'article 27 intitulé "Mesures raisonnables de gestion du trafic" met en péril un Internet libre et ouvert au Sénégal.
En effet, ledit projet consacre un accès ouvert à Internet en ses articles 25 et 26, ce conformément aux standards internationaux notamment l’article 19 de la Déclaration universelle des droits humains, l’article 9 de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples[1], à la Constitution du Sénégal et la loi d‘orientation sur la société de l’informationde de janvier 2008
Cependant, l'article 27 du même Code insère des exceptions, qui mettent en jeu la neutralité du net sous le couvert de mesures raisonnables de gestion du trafic. Ces dernières peuvent être mises en œuvre par les opérateurs sur la base de considérations techniques et sécuritaires[2] ou l’autorité de régulation (ARTP) peut en donner l’autorisation pour motif économique[3]. De telles prérogatives conférées aux structures dénommées ci-dessus aboutiront à des situations où des contenus, des services ou, plus généralement, des communications peuvent être surveillées, filtrées, ralenties, ou bloquées, c’est la censure d’internet. A l’inverse, ils peuvent aussi les favoriser, mettre en avant, ou imposer des contenus de leurs choix, c’est la discrimination, en somme un internet à deux vitesses. Autrement dit l’ARTP et les opérateurs au nom «de mesures raisonnables de gestion du trafic» pourront décider ou orienter la liberté de choix des sénégalais quant à l’accessibilité du net.
Cette disposition aura un impact négatif sur le développement de l’économie numérique mais pire encore elle mettra en péril les droits humains et les libertés fondamentales sur internet en particulier la liberté d'expression et d'information des sénégalais.
Ainsi, un cadre légal pour la censure d'Internet est créé à l'approche des élections présidentielles de février 2019. Ce qui pourrait constituer une menace réelle sur la transparence de l’élection présidentielle de février 2019 avec la coupure ou le ralentissement de l’accès à Internet et le blocage des réseaux sociaux, lors du déroulement du scrutin et de la proclamation provisoire des résultats.
Au regard de tout ce qui précède, l’article 27 n’est pas en conformité avec les 16 instruments internationaux et nationaux qui protègent le droit à la liberté d’expression et le droit d’accès à l’information. Pire encore, l’article 27 n’est pas conforme avec l’engagement de l’Etat du Sénégal de respecter la liberté d’expression devant la communauté internationale lors de la vingt-cinquième session du Conseil des droits de l'homme des Nations Unis sur l’examen périodique universel des droits de l’homme du Sénégal, en décembre 2013.
Nous, 301 organisations de la société civile Sénégalaise et leaders d’opinion, invitons les Honorables députés à amender l’article 27 du projet de loi portant Code des Communications Electroniques en supprimant toutes les clauses, exceptée celle relative à l’application d’une décision de justice. Ainsi, en cas de congestion non prévue ou de menace sur la sécurité du réseau, il appartient au juge des référés en tenant compte des circonstances, de l’opportunité de la décision de la mise en œuvre des mesures raisonnables de gestion du trafic.
En outre, nous appelons les Représentants du peuple à protéger dans la Loi un Internet libre et ouvert en faisant les amendements suivants:
- Inscrire dans la loi une définition d'Internet basée sur le principe d’un accès libre et ouvert;
- Ce principe doit s'appliquer notamment à tous les réseaux Internet autant mobiles que fixes;
- Feront l’objet de sanctions les fournisseurs d’accès internet et les opérateurs mobiles qui porteront atteintes à ce principe;
- Encadrer l'utilisation des technologies de surveillance des réseaux afin de protéger notamment le secret des correspondances et l'intégrité des communications électroniques.
Les amendements ci-dessus consacreront un véritable accès ouvert à internet, qui constituent à la fois:
- Une garantie d’une économie numérique sénégalaise stimulant équitablement la compétition, l'innovation et la concurrence;
- Une garantie pour la liberté d'expression et d'information des sénégalais, une transparence de l’élection présidentielle de février 2019, consolidant ainsi la démocratie sénégalaise.
[1] A la résolution 32/13 du Conseil des droits de l'homme du 1er juillet 2016 sur la promotion, la protection et l’exercice des droits de l’homme sur l’Internet; A la décision 25/117 du Conseil des droits de l’homme en date du 27 mars 2014, relative à la réunion-débat sur le droit à la vie privée à l’ère du numérique; A la résolution de l’Assemblée générale 68/167 du 18 décembre 2013, sur le droit à la vie privée à l’ère du numérique ; A la résolution de l’Assemblée générale 68/198 du 20 décembre 2013, sur les technologies de l’information et des communications au service du développement ; A la résolution 20/8 du Conseil des droits de l’homme des Nations Unis en date du 5 juillet 2012, sur la promotion, la protection et l’exercice des droits de l’homme sur l’Internet ; La résolution 12/16 du 2 octobre 2009 du Conseil des droits de l’homme des Nations Unis, sur la liberté d’opinion et d’expression ; A l’article 1er Alinéa h du Protocole A/SP1/12/01 sur la Démocratie et la Bonne gouvernance de la CEDEAO; Aux Article 4, 6, aux Alinéas 7 et 8 de l'article 27 de la Charte Africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance; Aux articles 1, 2, 3, 4 de la Déclaration de Principes sur la Liberté d’Expression en Afrique de l'Union Africaine.
[2] En effet, les fournisseurs d’accès peuvent mettre en œuvre ces mesures raisonnables de gestion du trafic pour: se conformer aux lois et règlements ou aux mesures donnant effet à ces lois et règlements, y compris les décisions des juridictions ou des autorités compétentes, préserver l’intégrité et la sûreté des réseaux, des services fournis par l’intermédiaire de ces réseaux et des équipements terminaux des utilisateurs; prévenir une congestion imminente du réseau et atténuer les effets d’une congestion exceptionnelle ou temporaire, pour autant que les catégories équivalentes de trafic fassent l’objet d’un traitement égal;
[3] En ce qui concerne l’autorité de régulation, elle peut autoriser ou imposer ces mesures autant qu’elle juge utile pour préserver la concurrence dans le secteur des communications électroniques et pour veiller au traitement équitable des services similaires.
Fait à Dakar, le 11 octobre 2018
Leaders d’opinion signataires:
- Mandiaye Gaye;
- Alioune Tine;
- Mody Niang;
- Pr. Babacar GUEYE;
- Djibril Gningue.
Les Organisations signataires:
- Article 19;
- LSDH (Ligue Sénégalaise des Droits Humains);
- RADDHO (Rencontre Africaine pour la Defense des Droits Humains);
- Forum du Justiciable;
- ROADDH (Réseau Ouest Africain des Défenseurs des Droits Humains au Togo)
- Conseil des organisations non gouvernementales d’appui au développement (CONGAD, 178 ONGs nationales);
- Urac (Union des Radios Associatives et Communautaires, 103 membres);
- Forum Social Sénégalais;
- RADI (Réseau Africain pour le Développement Intégré);
- APPEL (Association des Editeurs et Professionnels de la Presse en Ligne);
- RBS (Réseau des Blogueurs du Sénégal);
- Cjrs (Convention des Jeunes Reporters du Sénégal);
- ASPRODDEL;
- Africtivistes;
- AJED (Association des Jeunes pour l’Éducation et le Développement);
- Groupe de Recherches et d’Appui Conseil pour la Démocratie Participative et la Bonne Gouvernance (GRADEC);
- ASUTIC (Association Sénégalaise des Utilisateurs des TIC).