Déconstruire la démocratie censitaire au Sénégal : Une «priorité absolue»

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Le laboratoire de stratégie politique et électorale du Président de la coalition politique au pouvoir, par ailleurs, Président de la république du Sénégal, disposerait de 5 options en perspective de la fin en 2024 de son 2ème et dernier mandat présidentiel.

La première option est l’abandon de tout projet de captation du pouvoir politique et d’organiser des élections libres, transparentes et démocratiques. Bien qu'elle soit option pour un Sénégal de paix, de stabilité politique et d’opportunités de développement, elle est à écarter d’office, car aucun acte, aucune parole du locataire du Palais Présidentiel ne semble aller dans ce sens.

Aussi, une des 4 options suivantes serait vraisemblablement mise en œuvre pour pouvoir conserver le pouvoir politique:

  1. Saisir le Conseil Constitutionnel pour une interprétation de l’article 27 de la constitution­;
  2. Organiser un référendum constitutionnel pour faire sauter les articles 27 et 28, mais aussi la clause d'éternité de l’article 103 de la constitution­;
  3. Mettre en place un scenario «­à la Poutine­»­;
  4. Prendre la présidence de l’Assemblée Nationale lors des prochaines élections législatives.

Quelque soit l’option choisie, une victoire électorale est le garant de l’atteinte de l’objectif recherché de conservation du pouvoir politique. Aussi, l’organisation d’un scrutin est la clé de tous leurs projets de captation du pouvoir. Dés lors, si les conditions d’un processus électoral libre et transparent sont créées, aucune de ces options ne pourrait avoir une chance de réussite.

Pour rappel, en 1998 il y a eu une décision unilatérale consistant à supprimer le principe de la limitation des mandats présidentiels à deux et du quart bloquant à l’approche de la présidentielle de 2000 (loi n° 98-43 du 10 octobre 1998 portant révision des articles 21 et 28 de la Constitution), et ce, malgré l’engagement du Président du Sénégal de l’époque à ne pas toucher à une virgule du consensus entre les acteurs politiques sur la limitation des mandats présidentiel à deux. Néanmoins, il a perdu à l’élection présidentielle de 2000.

En 2012, à l’horizon de l’élection présidentielle, malgré une mobilisation sans précédent des populations contre une 3ème candidature, le Conseil constitutionnel sénégalais a validé la candidature à un troisième mandat du Président. Mais lui aussi a perdu à l’élection de 2012 et n’a pas pu obtenir un 3ème mandat présidentiel.

Le dénominateur commun à ces deux scrutins qui a fait échouer le projet de conservation du pouvoir politique a été la mise en place des conditions d’un processus électoral permettant une expression citoyenne libre et transparente contrairement à celui de l’élection présidentielle de 2019.

En effet, il est à rappeler que l’élection présidentielle de 2019 a été organisée dans des conditions telles que des critères essentiels qui permettent de qualifier un scrutin de libre, démocratique et transparent ont été remis en cause­: le droit de vote, le secret du vote, la liberté de vote, l’absence d’intimidation, de corruption et de discrimination.

La liste des dysfonctionnements et manquements à ce scrutin présidentiel de février 2019 est longue. A cet effet, on peut citer sans être exhaustif :

  1. L’exclusion de plusieurs candidatures par la mise en en œuvre de la loi sur le parrainage;
  2. La collecte et le traitement illégal de grandes quantités de données personnelles des électeurs, parmi celles-ci l'opinion politique afin de pouvoir manipuler leurs votes;
  3. L’impossibilité des candidats à accéder au fichier électoral qu’à 15 jours du jour du scrutin ;
  4. Les partis politiques légalement constitués ne jouissant pas du droit de regard et de contrôle sur la tenue du fichier électoral (article L.48 du Code électoral)
  5. Le couplage de la carte d’identité avec la carte d’électeur qui permet d’exclure des électeurs du vote par une modification de la carte électorale­;
  6. Un nombre encore important de 1 730 808 citoyens Sénégalais qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales, parmi eux, 1 104 157 jeunes âgés de 18-25­;
  7. Les listes provisoires d’électeurs non consultables en ligne­;
  8. Une distribution chaotique et sélective des cartes d’électeurs. Par ailleurs, face notamment au nombre substantiel d’électeurs ne parvenant pas à retirer leurs cartes, ces derniers ont été autorisés à faire des demandes de duplicata sans avoir à produire de certificat de perte. Aucun chiffre n’a été communiqué sur les demandes et les retraits de duplicatas. Combien de duplicatas ont été distribués­? Manque de traçabilité et opacité totale­. Une autre porte ouverte à la fraude;
  9. La modifications de dernière heure de la carte électorale et la création de nouveaux bureaux de vote et la délocalisation de certains autres à l’insu des électeurs­;
  10. Des difficultés d’information et d’orientation pour le retrait des duplicatas pour les électeurs affectés par les changements de la carte électorale publiée seulement 30 jours avant le scrutin­;
  11. La rareté ou l’éloignement des sites des commissions administratives chargées de la révision des listes électorales et de la distribution des cartes d’électeurs;
  12. Une distribution de cartes d’électeurs sans supervision de la Commission Électorale Nationale Autonome (CENA) hors des périodes de distribution pré-électorale­;
  13. Un nombre potentiellement significatif d’électeurs empêchés de voter à cause erreurs entre les listes électorales et les cartes d'électeurs;
  14. L’achat de voix, la corruption et l'intimidation par des contraintes financières avec le bulletin multiple­;
  15. Des bulletins de vote non utilisés qui ne sont pas conservés­;
  16. Des bulletins exprimés non archivés, ce qui empêche tout recomptage des suffrages exprimés­;
  17. Une saisie des données difficilement observable à cause de la faible luminosité dans certaines commissions départementales de recensement des votes­;
  18. L’impossibilité de traiter toutes les observations portées sur les procès verbaux des bureaux de vote par la commission nationale de recensement des votes;
  19. La violation de l’article L.7, alinéa 3 du code électoral qui stipule que les membres de la CENA sont nommés pour un mandat de 6 ans. Certains membres sont en poste depuis plus de 6 ans­;
  20. L’insuffisance de la dotation financière globale de la CENA et mise à disposition tardive des fonds­;
  21. Le non-respect par plusieurs médias audiovisuels et sites web d’informations de l’interdiction d’accepter et relayer toute forme de publicité commerciale afin de propagande électorale (Art. L.61 du Code électoral), etc.

A la lumière de ce qui précède, l’élection présidentielle de 2019 au Sénégal n’a été ni libre, ni transparente, ni honnête.

Ce scrutin n'a pas été conforme aux instruments régionaux et internationaux sur la tenue d’élections libres et honnêtes qui reflètent la libre expression de la volonté des électeurs­: Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), Convention des Nations Unies contre la Corruption de 2005 (article 7.3), Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance, Convention de l'Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption (article 10), Protocole A/SP1/12/01 de la CEDEAO sur la Démocratie et la Bonne gouvernance.

Depuis cette élection de faire valoir démocratique, la seule recommandation pour améliorer le processus électoral mise en œuvre est celle relative à l’accessibilité des handicapés moteurs au bureau de vote (Nous y reviendrons).

Non seulement, il n’a pas été constaté de mise en œuvre de toutes les recommandations formulées par la CENA, Mission d’observation électorale de l'Union européenne, Mission d'observation de l'Union Africaine, Rapport mission d’audit du fichier électoral, Rapport mission d’audit du processus électoral pour la correction des manquements et dysfonctionnements, on assiste plutôt à une consolidation de ce processus électoral qui conduit à un suffrage censitaire.

Ainsi, il y a une poursuite de la collecte des données personnelles sous couvert de programmes sociaux, la non suppression de la loi sur le parrainage tel que ordonné par la CEDEAO mais surtout le vote d’un code électoral en juillet 2021 qui contient des dispositions problématiques.

Au regard de tout ce qui précède, se mobiliser pour déconstruire cette démocratie censitaire est une «­priorité absolue­».

Certes, le combat contre la 3ème candidature de l’actuel Président du Sénégal doit être ardemment mené, cependant, créer les conditions d’un processus électoral libre, honnête, démocratique et transparent est la priorité des priorités pour préserver et consolider la démocratie. En effet, c’est le seul combat qui puisse empêcher démocratiquement et pacifiquement tout projet de captation du pouvoir politique élaboré par le Président en exercice en perspective de la fin de son 2ème et dernier mandat présidentiel en 2024.

A cet effet, ASUTIC publiera une série de notes d’analyse sur le processus électoral actuellement en vigueur pour attirer l’attention des parties prenantes sur les points de vigilance qui demandent une nécessaire mobilisation citoyenne et politique.

Fait à Dakar, le 14/ 11/ 2021
Le Président Ndiaga Gueye

Doctorant en Sciences de l'Information et de la Communication
Chercheur en communication politique à l'ère numérique
Laboratoire: LARSIC, École Doctorale: ED-ETHOS
Université Cheikh Anta Diop de Dakar Sénégal

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